Pour faire face à la crise et à la relance, la Région n’en finit pas de s’endetter. La dette directe a doublé en cinq ans. La dette brute consolidée devrait dépasser les 30 milliards en fin d’année. Tenable ?

Jean-Luc Crucke (MR), ministre du Budget, se veut rassurant: «Le montant des charges d’intérêt reste stable. Ce qui signifie que la dette reste soutenable dans un contexte de taux bas.»

Article d’Eric Deffet, « Le Soir », 14 juillet 2021

Réuni en plénière ce jeudi à Namur, le parlement de Wallonie doit approuver le premier ajustement du budget 2021. Il ne s’agit pas d’une simple formalité : entre l’effort initial (903 millions) et l’effort ajusté (1,894 milliard), l’impact de la crise sanitaire sur les finances publiques régionales s’alourdit de près d’un milliard d’euros.

Pour faire face à ces défis et à ceux de la relance sociale, économique et environnementale, la Wallonie s’endette toujours plus. De manière assumée : il faut aider les secteurs les plus touchés à s’en sortir et il est plus que jamais indispensable d’investir massivement, d’autant plus que les taux d’intérêt actuels restent favorables, n’en finit pas d’asséner le gouvernement PS-MR-Ecolo.

Jusqu’à présent, trouver de l’argent frais sur les marchés n’a pas été un souci. Jean-Luc Crucke (MR), ministre du Budget, en a fait la démonstration aux députés : « Pour 2021, les besoins bruts de financement s’élèvent à 5,68 milliards, après ajustement. Mais il faut tenir compte du préfinancement opéré dès 2020 pour 1,52 milliard et de la prévision de sous-utilisation soit 371 millions. Les besoins nets sont donc de 3,78 milliards. Ils sont déjà couverts à 96,7 %, essentiellement par l’emprunt, alors que nous ne sommes qu’à la moitié de l’année. »

Des sommets, pas une norme

Le libéral ajoute un élément d’analyse important : « Même si la dette augmente de manière significative, le montant des charges d’intérêt reste stable. Ce qui signifie que la dette reste soutenable dans un contexte de taux bas. »

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A ceux, économistes ou analystes de la Cour des comptes, qui attirent l’attention sur une possible remontée des taux, Jean-Luc Crucke réplique, serein : « Nous sommes bien conscients qu’il faut maîtriser ces charges. Mais le risque de hausse n’est pas certain à ce stade. »

La dette wallonne, parlons-en.

Dans ses commentaires de l’ajustement 2021, la Cour des comptes fixe les choses : « La dette directe de la Région wallonne (hors UAP) est passée de 7,9 milliards au 31 décembre 2015 à 17,4 milliards au 31 décembre 2020, soit une augmentation de 120 % au cours de cette période. Elle résulte principalement des déficits budgétaires récurrents de ces dernières années. »

Le tableau présenté ci-contre au parlement par Jean-Luc Crucke montre que cette dette directe continuera d’augmenter cette année pour atteindre pratiquement le montant record de 22,5 milliards à la fin de 2021, soit le double de ce qu’elle était encore en 2018. L’impact de la crise du covid et de la relance joue à plein sur cet endettement.

Est-ce tenable à terme ? « Ces sommets ne pourront pas devenir une norme. Nous devrons retrouver une trajectoire de maîtrise du déficit et donc de maîtrise de l’endettement », reconnaît le ministre wallon du Budget qui a chargé une commission d’experts de plancher sur la soutenabilité de la dette régionale. Le rapport devrait être rendu public en septembre.

La Cour des comptes élargit déjà le champ de l’analyse. Elle souligne par exemple l’explosion de la dette brute consolidée, qui additionne la dette directe et la dette indirecte, essentiellement celle des unités d’administration publique : si cette dernière reste globalement stable, l’endettement global atteignait déjà 27,7 milliards au 31 décembre 2020, soit une augmentation de 4,5 milliards en un an.

Les projections de la Cour font même grimper la dette consolidée à 31,3 milliards à la fin de cette année 2021. Compte non tenu, soulignons-le au passage, de l’impact qu’aura à coup sûr la part wallonne de la dette relative aux hôpitaux. Les entités fédérées doivent encore s’entendre sur la répartition d’une charge globale de 4,8 milliards. Combien pour la Wallonie ?

On frôle l’emballement, l’endettement non maîtrisé. Advienne que pourra.

Une relative indifférence

Au parlement, l’opposition s’inquiète évidemment de cette fuite en avant de l’endettement. C’est en particulier le cas du député André Antoine (CDH), fin connaisseur de la matière puisqu’il fut ministre du Budget. L’élu brabançon reconnaît que la crise sanitaire a changé la donne, mais il tire la sonnette d’alarme.

« Je m’étonne de la relative indifférence dans laquelle les choses se passent. On emprunte à tour de bras des sommes considérables, mais sans discours de la méthode. Où sont les réformes ? Où est le nécessaire pacte social ? Où est l’indispensable alliance avec la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Où est la sélectivité des projets quand je vois que l’on va consacrer 120 millions à la construction d’un vélodrome ? On prend tous les risques pour la Wallonie. Il y a intérêt à réussir parce que la Région s’engage pour plusieurs générations. »

Parmi les sources d’inquiétude d’André Antoine, il y a la perspective de voir l’Union européenne serrer à nouveau la vis sur les normes budgétaires en 2023 et l’annonce de la fin de la solidarité nord-sud qui prendra effet dans la foulée, dès 2025. Mais la critique est aussi plus politique : « Dans une tripartite, on dépense à trois mains pour contenter chacun. Il y a donc des dépenses faciles voire inutiles, d’autres qui relèvent des dépenses ordinaires et pas des investissements. »

L’ancien ministre souligne aussi une forme de dette cachée : l’en-cours, soit les sommes engagées mais qui restent à payer. Cet en-cours était déjà de 4,45 milliards en 2018, il est en augmentation constante et culmine à 5,34 milliards en 2021, ce qui représente 40 % des recettes régionales. Une corde au cou, en quelque sorte.