« Le Soir », Xavier Counasse, 17 novembre 2022.

Namur semble raffoler de la technique borderline du « coup par coup ».

Etape 1 : attribuer un marché de taille et coûts réduits.

Etape 2 : le gonfler au fil du temps en travaillant exclusivement avec la société lauréate.

La fin des travaux approche, pour la nouvelle Maison des parlementaires. 

Les lecteurs du Soir connaissent la chanson : les coûts des deux récents chantiers pilotés par le Parlement wallon ont explosé par rapport aux promesses initiales. La nouvelle Maison des parlementaires est désormais estimée à 46 millions d’euros, alors qu’on a chanté sur tous les toits que le « coût total est estimé à 10 millions d’euros ». Le grand écart est comparable pour la jonction piétonne – ce tunnel de quelques dizaines de mètres, réservé aux députés, qui relie le nouveau parking au Parlement : au lieu des 700.000 euros claironnés, l’ardoise finale dépasse les trois millions.

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Au-delà de cette envolée des coûts, de nouvelles questions d’ordre juridique se posent sur le respect de la loi sur les marchés publics. Pour le chantier de la Maison des parlementaires comme pour celui du mini-tunnel, le Parlement a lancé une procédure officielle pour désigner, pour chaque chantier, un auteur de projet (architecture/bureau d’études) et un entrepreneur (travaux). Ces quatre marchés ont été attribués sous la présidence d’André Antoine (Les Engagés), entre novembre 2017 et mars 2019, pour un montant donné. Mais il apparaît aujourd’hui que le coût final payé à ces quatre acteurs est sans commune mesure avec l’offre approuvée lors de l’attribution du marché.

L’association AAO-BAG-BE Pirnay-Felgen, désignée auteur de projet pour la Maison des parlementaires, avait remis une offre à 1.128.930 euros pour remporter le marché. Or elle a facturé un montant total de 2.368.166 euros pour ce projet. Soit une augmentation de 109,8 % par rapport à l’offre initiale.

Idem pour l’entrepreneur Artes, dont les factures ont très exactement doublé (+100 %) par rapport à la promesse initiale. Et si les hausses ne sont « qu’à » deux chiffres du côté de la jonction piétonne, elles sont gratinées également : 55,1 % de plus pour l’auteur de projet TPF Engineering, 62,8 % pour l’entrepreneur Sodraep.

Une partie – minoritaire – de ces surcoûts est liée au contexte économique (covid, inflation…). Mais la majeure partie des dérapages s’explique par des ajouts et/ou modifications du projet initial, approuvés par le Parlement wallon (incarné par son greffier qui disposait d’une large délégation de pouvoir).

Ad libitum

Or pour chaque extension de la mission de base, le Parlement n’a pas sondé la concurrence via un marché public. C’est l’entreprise ayant remporté le marché initial qui a obtenu la réalisation des nouvelles demandes. Ce qui a systématiquement fait l’objet d’un avenant au contrat. Et tous ces avenants, « hors concurrence », coûtent donc quasi aussi cher que l’offre de base… N’y a-t-il pas une entorse à la législation sur les marchés publics ? Celle-ci stipule qu’il est autorisé d’ajouter une couche au projet originel à condition qu’elle ne coûte pas plus de 50 % du montant de base et que l’adjudicateur (ici le Parlement wallon) puisse justifier que ce serait trop coûteux ou impossible techniquement de relancer une nouvelle procédure publique (article 38/1 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 relatif à l’exécution des marchés publics).

Dans le cas présent, on est bien au-delà des 50 % d’augmentation. Mais il y a une ruse. La législation permet de répéter les ajouts ad libitum. Autrement dit, un avenant ne peut jamais dépasser 50 % du prix de base… mais on peut faire autant d’avenants que jugé nécessaire. « Vous mettez le doigt sur une anomalie réglementaire actuelle de taille : en combinant les possibilités avec des motivations ad hoc, la valeur d’un marché en cours d’exécution peut exploser », explique Alexandre Yerna, professeur de théorie et pratique des marchés publics à l’ULB.

Il existe tout de même une disposition anti-abus : les « modifications consécutives ne peuvent être utilisées pour contourner la réglementation en matière de marchés publics », prévoit l’arrêté royal. « On ne peut donc pas diviser artificiellement un marché pour contourner les règles. Ni cacher sciemment une partie des postes lors du marché initial pour les ajouter par la suite, afin d’arranger les bidons », reprend M. Yerna.

Or à Namur, plusieurs avenants interpellent. Si les factures de l’auteur de projet ont doublé pour la nouvelle Maison des parlementaires, c’est parce qu’on s’est souvenu qu’il fallait prévoir du mobilier fixe dans le bâtiment, puis qu’il serait également utile de prévoir des gaines et câblages dans les cloisons et faux plafonds, pour y raccorder l’audiovisuel. Dans les deux cas, ces postes n’étaient-ils pas prévisibles dès le lancement du projet ? C’est encore plus flagrant du côté de la jonction piétonne, où le premier avenant signé avec l’auteur du projet, sans mise en concurrence, prévoit divers travaux dont l’unique but est de « permettre à la jonction d’aboutir dans le Parlement sous le bâtiment Saint-Gilles ». Autrement dit, le raccordement entre le tunnel et le bâtiment existant n’était pas prévu dans le marché de base…

L’histoire se répète

Un oubli, ça arrive. Mais la répétition du schéma peut laisser penser à une sous-estimation délibérée de la valeur initiale des marchés publics. Cela ne concerne d’ailleurs pas que les chantiers. Pour mettre à jour son système informatique, le Parlement a attribué un marché à la société Synapsis en janvier 2021, pour 428.340 euros (dénoncé auprès de l’Office central pour la répression de la corruption). Là encore, un premier avenant de plus de 141.000 euros a déjà été signé. Et il est question d’un nouveau surcoût, qui n’a pas encore été approuvé, de plus de 200.000 euros. Soit une augmentation totale d’au moins 80 % par rapport à l’estimation initiale.

Contacté, l’actuel président Jean-Claude Marcourt (PS) ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet avant d’avoir reçu l’analyse indépendante des deux chantiers, commandée à la Cour des comptes.

1.300 euros par mois de frais de représentation

Par Xavier Counasse

Le 28 juin 2018, c’était jour de réunion pour le Bureau du Parlement wallon, alors présidé par André Antoine (Les Engagés, ex CDH). Les deux vice-présidents de l’époque Christophe Collignon (PS) et Jacqueline Galant (MR) sont excusés. Seuls les secrétaires Olivier Destrebecq (MR) et Sophie Pécriaux (PS) tiennent compagnie au président Antoine, ce jour-là, ainsi que le greffier Frédéric Janssens, suspendu depuis septembre 2022.

Le quatrième point à l’ordre du jour de la réunion, selon le procès-verbal dont Le Soir a obtenu copie, est intitulé « Personnel – Statut du Greffier ». Vu qu’on s’apprête à parler de lui, le greffier quitte logiquement la pièce. Le trio restant peut alors discuter librement de la taille de l’enveloppe accordée au premier fonctionnaire wallon pour ses frais de restaurant.

Le Bureau finit par tomber d’accord. Le Greffier est officiellement « autorisé à exposer, moyennant justifications, des dépenses de représentation à concurrence d’un maximum de 1.300 euros par mois ». Soit 15.600 euros par an. Le Bureau justifie cette mesure car, toujours selon le procès-verbal, « il relève des missions du greffier d’assurer une large représentation du Parlement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Région ».

Une fois M. Janssens de retour dans la salle, le président Antoine lui fait part de l’heureuse nouvelle. Et « le Greffier remercie les membres du Bureau ». Point suivant !